Accueil > Articles > Interviews > A la rencontre de l’illustrateur Cyril Bouquet

A la rencontre de l’illustrateur Cyril Bouquet

par jeudeclick
Publié : Dernière mise à jour le 401 vues 14 minutes de lecture

De la même manière que le jeu vidéo donne la parole à de nouvelles générations d’artistes, le jeu de société contemporain ne serait rien sans ses illustratrices et illustrateurs. Au-delà du simple graphisme fonctionnel et de la cosmétique attractive qui vous donnera envie de vous ruer sur tel jeu plutôt que tel autre, ces accrocs du crayon, du pinceau ou encore du stylet sont les mediums qui nous ouvrent les portes d’un jeu. Ils habillent ainsi les mécaniques abstraites d’autant de décors, de personnages, d’objets ou de symboles qui, véritables véhicules protéiformes, nous propulsent dans une utopie, transformant quelques bouts de carton en une intense expérience immersive.

Au travers de deux interviews à paraître dans les prochaines semaines, nous plongerons ensemble dans les univers de deux de ces Magiciens, Maîtres de nos évasions ludiques.

Pour commencer, entretien avec Cyril Bouquet, illustrateur de la série KingDomino/QueenDomino, que nous avions rencontré un peu avant la sortie du premier opus au « Pion de l’Isle », sympathique boutique de jeux de Périgueux. Il nous livre ici son expérience du monde ludique.

Cyril Bouquet, Maître en son royaume.

Bonjour Cyril. Merci beaucoup pour le temps que tu nous accordes. Pour commencer, peux-tu te présenter brièvement ?
Je m’appelle Cyril Bouquet, je viens de Périgueux ou plutôt d’un petit hameau de 3 maisons, ce qui permet calme et liberté. Je suis illustrateur de jeux de société depuis sept ans avec une quarantaine de jeux à mon actif, pour l’Europe mais aussi pour les USA, Dubaï et un projet taïwanais est en préparation.

Avant d’aborder ton métier, parle-nous de ton rapport au jeu : es-tu toi-même joueur et si oui, depuis quand et à quoi joues-tu ?
Je suis joueur depuis aussi longtemps que je me souvienne, mauvais joueur pourraient même dire les gens qui jouent avec moi, même si heureusement le fait de jouer avec mes enfants et l’arrivée des jeux coopés ont modifié tout ça. J’aime tous les styles de jeux, mais je joue plus souvent en ce moment à des jeux où les scénarios évoluent au fur et à mesure des parties comme Pandémie Legacy, Mice and Mystics que j’ai commencé en famille, Hogwarth’s Battle dans l’univers d’Harry Potter où on doit être à une soixantaine de parties avec des tas d’amis, et j’attends mon paquet de Stuffed Fables qui doit arriver je l’espère dans quelques jours. J’ai beaucoup aimé Azul, qui j’espère remportera l’As d’or, car il y a dans la mécanique du jeu tout ce que j’aime en tant que joueur. Ce fût un vrai régal de le découvrir et de le jouer sur Essen.

Qu’est-ce qui t’a mené aujourd’hui à l’illustration de jeux de société ? As-tu fait une école d’illustration ?
Tout est parti d’un petit coup de poker du fond de ma maison. Je venais de voir une vidéo , sur le site de JSP Mag à l’époque (Jeux sur un Plateau, ndlr), de présentation du jeu Trolland de Bruno Cathala, et j’avais accroché direct au côté « politiquement incorrect » et irrévérencieux du thème du jeu, et vu que le projet avait été présenté non illustré, je me suis jeté sur mes feuilles de papier pour tenter le coup. J’ai fait 4 ou 5 cartes avec des personnages que j’avais retenus du reportage, et j’ai envoyé le tout à Bruno en me disant au pire il ne répondra pas et je n’aurai perdu qu’une après-midi pluvieuse à faire des dessins. J’ai appuyé sur la touche « envoi » et quelques instants plus tard, j’ai eu une réponse de Bruno qui m’annonçait qu’il avait une bonne et une mauvaise nouvelle. La mauvaise était que le jeu avait déjà été signé avec un illustrateur, qui a d’ailleurs fait un beau boulot sur le jeu, et la bonne c’était qu’il aimait bien ce que je faisais et qu’il serait ravi de bosser un jour avec moi, en me demandant si je n’étais pas trop déçu, alors que j’étais hyper content !!!

Finalement, j’ai commencé en 2011 avec la version électronique de « Haru Ichiban » grâce à Bruno qui est devenu un véritable ami. Un midi, je déjeunais avec lui, et ceux qui connaissent bien Bruno le savent, il a toujours un proto dans son sac. Donc au milieu du repas, il le sort et on commence à jouer, et à la fin de la partie il me regarde et me dit : « Au fait, ça te dirait de l’illustrer ? » Evidemment, j’ai accepté et ça a été le « début ». Cela  explique aussi que remporter le « Spiel des Jahres » avec lui cette année avait une couleur toute particulière.

Côté formation, j’ai surtout fait des études de dessin animé, et je crois que ça se voit ! J’ai obtenu un BTS de Cinéma d’Animation, et j’ai ensuite fait deux ans en École d’Art, cursus Animation. J’ai toujours été fan de dessin animé comme Ren and Stimpy, ou d’autres choses un peu décalées dans le monde du cartoon donc quand j’étais plus jeune je redessinais beaucoup de personnages cartoons et je caricaturais aussi profs, potes et copines.

Aujourd’hui, tu arrives à vivre de l’illustration ? Comment est rémunéré un illustrateur de jeu, y a-t-il un système de droits d’auteurs, de « royalties » ? 
Je ne vis pas que de cette activité, peu d’illustrateurs y parviennent je pense, mais je vis du dessin et du jeu, car je fais aussi un peu d’affiches de festivals, et je bosse à mi-temps en boutique de jeux à Périgueux.

Tous les contrats d’illustrateurs sont différents en fonction des éditeurs et la plupart du temps, il est assez difficile de percevoir des droits d’auteur en tant qu’illustrateur, même si cela commence doucement à évoluer.

Comment s’organise une collaboration avec un éditeur ? Qui choisit l’illustrateur, est-ce l’auteur du jeu ou l’éditeur ?
Le travail avec les éditeurs dépend beaucoup des personnes avec lesquelles tu es en relation. On échange beaucoup avec le directeur artistique ou le chef de projet, par mail par skype ou en vrai quand on se croise sur les différents festivals ou lors de réunion de travail. Après personnellement j’accorde un vrai crédit à l’échange humain, à l’aventure commune autour d’un projet, c’est pourquoi la plupart des gens avec qui je travaille sont aussi devenus des amis, car j’aime travailler avec des gens dont je me sens proche et avec qui j’échange. Gain de temps, d’énergie et de vraies valeurs humaines à la clé.

Pour ce qui est du choix de l’illustrateur, c’est l’éditeur qui choisit. Certains auteurs peuvent être consultés quant à l’univers et l’ambiance qu’ils souhaitent, mais les éditeurs ont toujours le dernier mot.

Est-ce que tu participes à des « concours », des sortes d’appels à projet qui mettent plusieurs illustrateurs et illustratrices en compétition, où bien tout se fait au réseau, on t’appelle et on te propose un projet ?
À titre personnel, je n’ai fait qu’une fois un test avec d’autres illustrateurs pour un même jeu, sur un jeu de zombies, qui a finalement été superbement réalisé avec des zombies réalistes. J’aurais bien voulu voir la tête du jeu avec des zombies cartoons juste pour rigoler ! Mais la plupart du temps, c’est via le réseau, le monde du JDS n’est pas si grand, il est encore possible de se créer son petit réseau.

Les éditeurs connaissent ton style et savent si cela colle ou non avec l’ambiance qu’ils souhaitent pour le jeu. En général, c’est donc eux qui nous proposent les projets. Il arrive parfois que l’auteur nous présente un prototype et nous propose à l’éditeur, mais cela est quand même nettement plus rare.

Pendant la phase de travail, j’aime vraiment avoir des retours de l’auteur autant que possible, car c’est une aventure commune et notre métier est de mettre en image l’univers qu’il a créé, de coller au mieux à ce qu’il s’était imaginé. Et étant joueur à la base, j’aime aussi jouer au prototype, si cela est possible, lors des salons et des festivals, avant d’attaquer à proprement parler le travail d’illustration. Cela me permet de cibler les informations essentielles pour la jouabilité, ce qu’il faut mettre en avant. L’illustration quelle qu’elle soit ne doit pas gêner la lecture et la compréhension du jeu, elle est au service de la mécanique ludique et non l’inverse.

Comment cela s’est-il passé par exemple pour King et QueenDomino ? 
Pour Kingdomino, c’est un  peu particulier parce que quand je suis arrivé dans le processus de création, le jeu avait déjà été entièrement illustré. Au début, je ne devais dessiner que les châteaux, puis un peu plus tard Blue Orange m’a contacté pour refaire toutes les illustrations ! Seulement, au moment où j’ai récupéré le projet, il était sur le point de partir en production afin de sortir pour Essen. Le temps était donc compté, mais nous avons réussi à avoir une rallonge d’un mois et demi pour finir le projet…

Malgré le peu de temps imparti, entre créatifs les idées fusaient, comme les petits « easter eggs » qui n’étaient pas prévus au début et c’était vraiment une belle aventure, même si elle a été intense jusqu’au bout. Par exemple, le dernier jour avant de lancer la production on était sur Skype avec Stéphane Maurel (Chef de Projet) et Justine (Graphiste chez Blue Orange) à 2h du mat’ pour solutionner un problème de colorimétrie alors que le jeu devait être lancé en  prod au plus tard à 5 h du mat dans les usines…….. Comme je le disais plus haut, ce Spiel a une saveur toute particulière car le jeu a une histoire humaine pour moi et les gens avec qui je suis monté sur la scène à Berlin !

Queendomino, c’était ma première expérience d’extension de jeu et c’était très sympa dans l’idée de continuer à développer un univers, ce qui s’est poursuivi avec « Age of Giants », l’extension qui sort cet été.

Quel est ton procédé créatif ? Plutôt crayon ou stylet ?
Perso je viens du monde du dessin animé donc j’ai besoin du contact avec le papier et le crayon, de toucher la matière de raturer de refaire des petits croquis, jusqu’à trouver ce que je cherche, je scanne ensuite puis je « cleane » et je mets en couleur sur Photoshop. Ce logiciel est une véritable fourmilière où on découvre des nouveaux tunnels à chaque utilisation, donc je suis vraiment dans un schéma d’expérimentation. Je travaille toujours en musique, c’est nécessaire, voire vital dans mon processus de création. J’ai aussi besoin de retours de mes enfants et de ma femme, ça permet d’avoir un point de vue extérieur quand on a trop la tête dans le guidon. Mes filles sont mon premier public pour voir si mes dessins sont assez clairs et ce qu’elles en comprennent car le public visé dans les jeux que j’illustre correspond assez souvent à leur âge. J’apprécie aussi les retours et les conseils d’amis illustrateurs quand cela est possible.

Pour le lancement de la production, je m’arrange le plus souvent avec l’éditeur pour pouvoir donner mon feu vert au moment de valider le BAT (Bon à Tirer, ndlr).

Est-ce que l’énorme succès de KingDomino a changé quelque chose pour toi ? Est-ce que cela t’a fait connaître un peu plus et t’a apporté de nouvelles propositions ? 
Déjà au niveau personnel, Kingdomino m’a permis d’aller à Berlin pour la remise du Spiel. Moment d’intense pression et de partage assez incroyable une fois le prix reçu, et comme je l’ai décrit auparavant tous les ingrédients étaient réunis pour faire de ce prix un moment magique au niveau humain : Bruno est le premier qui m’a lancé et fait confiance dans le monde du jeu de société, Tim de Blue Orange est le premier éditeur qui a fait appel à moi pour « Blue Lion » quand il lançait avec Jalal la gamme de jeux abstraits chez Jactalea, et Stéphane qui était chef de projet sur Kingdomino a commencé avec moi sur le portage de Haru Ichiban. Tout ce mélange fait que ce prix a un vrai goût particulier

Après il m’a permis de pouvoir faire des jeux à l’international, un à Dubai qui est en cours de production et un autre sur lequel je travaille avec Taïwan, ainsi qu’un jeu d’entreprise avec Storengy (ex-GDF), de nouveau avec Bruno Cathala.

Le monde de l’illustration de jeu de société est assez réduit, les éditeurs nous connaissent déjà et savent si notre style les intéresse, donc Kingdomino n’a pas vraiment changé les choses. La seule petite différence, c’est que quand je dis aux gens que j’ai illustré Kingdomino, ils savent de quoi je parle. Le danger à éviter, c’est d’être catalogué dans un style unique.

Peux-tu nous donner quelques infos sur tes projets à venir ? Des projets ou types de projets auxquels tu souhaiterais participer ?
Je travaille actuellement avec Swan Panasia, éditeur taïwanais, sur un vrai petit jeu d’ »enfoiré » dans le très bon sens du terme. J’ai accroché dès que j’ai testé le proto à Essen l’année dernière. Je suis aussi sur la préparation du premier jeu d’un ami qui sera en financement participatif courant septembre 2018, « Little ninjas » où l’univers d’illustration devrait être assez sympa. Sinon,  j’ai Crypto chez 123 Games qui devrait sortir tout bientôt et un jeu d’Antoine Bauza sur l’univers carcéral, « La Grande Evasion » qui est un petit jeu très sympa aussi !

Y a-t-il des auteurs avec lesquels tu aimerais collaborer particulièrement ou certains types de projets auxquels tu souhaiterais participer ?
Je suis content que ma première collaboration avec Antoine Bauza voie le jour cette année. Je voudrais avoir l’occasion d’illustrer un jeu de Roberto Fraga ou de Charles Chevalier qui sont des auteurs vraiment excellents et des personnes très attachants en même temps. Et j’aimerais aussi faire un jeu de Ludovic Maublanc. J’ai bien envie de participer à un jeu où on serait plusieurs illustrateurs, je trouverais marrant de mélanger des styles différents et des personnalités différentes au sein d’un même jeu, une sorte de jeux à plusieurs univers parallèles. J’ai d’ailleurs un projet dans ce sens avec James Masson, l’illustrateur de Zombicide, qui en plus d’être un très bon illustrateur est un véritable ami. Il a un style très différent du mien, mais nous sommes sur un projet de jeux à quatre mains qui me tient vraiment à cœur, et une fois de plus, moins au niveau de la finalité ludique que de l’aventure humaine, ce qui est le plus important pour ma propre aventure dans le monde du jeu.

La page Facebook de Cyril

Rédacteur de l’article : Arthur

VOUS POUVEZ EGALEMENT AIMER

Laisser un commentaire